jeudi 22 mars 2012

Du regard dans la peinture

Ambrogio Lorenzetti, fresque à Assise, vers 1320



DU REGARD DANS LA PEINTURE

C’est peut-être le premier regard dans la peinture occidentale.

Cela se passe vers 1320 à Assise, dans la basilique S. François.

Parmi les milliers et milliers de tableaux qui à travers l’histoire de l’art, représentent la Vierge Marie et l’enfant Jésus, il en est un, unique en peinture, à cause du regard entre la mère et l’enfant, regard d’une intensité incomparable ; aucun peintre jusque-là n’avait fait cela, et après, je ne pense pas qu’aucun peintre l’ait encore fait.

Le peintre, c’est Ambrogio Lorenzetti, né à Sienne vers 1290 et mort de la peste noire à Sienne en 1348.

Il vient au bout d’une tradition déjà longue de la représentation de la Vierge et de l’enfant : la séculaire peinture byzantine, puis les grands peintres toscans de la fin du XIIIe siècle et du début du Trecento, surtout Cimabue et Duccio di Buoninsegna.

Cimabue (1240, Florence – 1302, Florence) Ses admirables madones commencent à se libérer de l’hiératique tradition byzantine ; certaines ont une grâce toute nouvelle, mais toutes ont le regard grand qui regarde fixement le spectateur.

Puis, dans la génération suivante, c’est Duccio di Buoninsegna (vers 1260, Sienne – vers 1329, Sienne) à partir de 1280 il peint des dizaines de Madones, dont la fameuse « Maestà » (1308-1311), monumentale détrempe sur bois (2,14 m x 4,12 m) pour la cathédrale de Sienne. Ses Madones au visage grave et tendrement mélancolique tiennent dans leurs bras un bambin souvent espiègle – mais toutes, comme celles du maître Cimabue, ont le regard fixe vers le spectateur.

Ensuite, vers 1320, à Assise, se passe cette chose inouïe : la Vierge détourne son regard du spectateur et le plonge littéralement dans le regard de l’enfant – et l’enfant, tout aussi attentif, regarde intensément sa mère, qui, la bouche entrouverte, est en train de lui faire comprendre quelque chose d’une importance extrême.

On ne verra plus une scène pareille au cours des siècles.


 dans LE FRACAS DES NUAGES, à paraître au Castor Astral, collection 'Curiosa & coetera   

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