mardi 28 octobre 2014

L'ascension






Le haut mât est le vestige d’un projet d’antenne intercontinentale de la fin des années quarante, les barres de métal sont hérissées de cristaux de givre, les grands arbres au pourtour de la clairière ne sont plus que des squelettes végétaux, la forêt est morte depuis de longues années, le grimpeur est à mi-chemin de son ascension sur le mât dont le sommet s’estompe dans l’hivernale brume, les doigts commencent à geler dans les épais gants matelassés, les articulations des genoux n’obéissent plus et les pieds au fond des bottes sont devenus sourds, le grimpeur est à mi-chemin de son défi : arriver au sommet du mât, sans corde et sans crampons, en solitaire, sans témoins, il cale ses pieds, s’agrippe avec les mains, jamais il n’avait connu le vertige, et maintenant le vertige le paralyse, il ne bouge plus, la nuit est en train de tomber, à cent kilomètres de là, en ville, les fenêtres des immeubles s’illuminent, il fait chaud dans les appartements, les couples vont se retrouver sous la couette, ici les cristaux de givre sur les barres de métal continuent à croître, milliers de petits glaives brandis, le grimpeur s’agrippe, et ses doigts gèlent recourbés sur la barre de fer, il ne va plus lâcher prise, et restera agrippé, à mi-chemin de son ascension, jusqu’au dégel au printemps.


"Kafka à la Fenice", improbables péripéties
chapitre 51 - inédit 



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