mercredi 15 octobre 2014

sous le grand saule


            photographisme © L. Sch.



Dans la douceur lémanienne où il vivote dans ses pantoufles depuis des décennies, il vient le soir, comme tous les jours, s’asseoir sous le grand saule, son grand saule au bord du lac, observer le friselis de la brise sur l’eau sombre, et soliloque muettement, ressasse de très anciennes histoires d’amourachement, les septuagénaires ne servent plus à rien, trop jeunes pour mourir, trop vieux pour vivre, plein de givre dans les cheveux, plein de gelure dans le cœur, il vivote dans ses pantoufles lémaniennes, du temps où il donnait ses causeries, les salles étaient bondées, on prenait des notes, et le lendemain son effigie clignote dans la colonne culturelle des canards locaux, il est célèbre pour un jour ou deux à Neuchâtel, Vevey, Yverdon, La-Chaux-de-Fonds, les saisons s’accumulent, les années passent, l’âge vient, il grisonne, et blanchit, et flanche, et se ratatine, brûle tous les papiers de toutes ses conférences, et toutes les coupures de presse avec toutes ses effigies, et tous les billets doux amourachés, pour sa quotidienne promenade au bord du lac il a gardé ses pantoufles, sur l’idyllique sentier il ne rencontre personne, il marche lentement jusqu’au grand saule, son grand saule, observer encore une fois le friselis sur l’eau sombre, et regarder le soleil couchant jeter une poignée de paillettes d’or dans le lac, quelques jours plus tard on découvre dans les roseaux son cadavre décomposé.


dans "Kafka à la Fenice", improbables péripéties
chapitre 42 - inédit 



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