samedi 1 novembre 2014

Fragments du journal intime de Dieu - fragment 888





Fragment 888 — C’est un ouvrage assez épais de saint Augustin dont personne n’a jamais rien su et qui n’apparaît nulle part dans son abondante bibliographie : le « De sollicitudine membri » [Sur le souci du membre], écrit pendant vingt-cinq ans, entre 396 et 421, à raison de plusieurs fragments par semaine, en tout 5188 alinéas datés et numérotés, dans une écriture cryptée.
Personne ne sait dans quelles circonstances les trente-trois volumes du manuscrit ont disparu, et d’ailleurs cela importe peu, puisque le texte n’aurait jamais été déchiffré, le cryptage étant à toute épreuve.
C’est un des ouvrages les plus originaux qui aient jamais été écrits : le thème unique et exhaustif, en est ce que l’auteur appelle mon zigouton, d’après un mot qu’il avait trouvé, pendant ses recherches pour « La cité de Dieu » dans un libelle babylonien compilé à Alexandrie vers 175 avant l’ère nouvelle, d’après une collection de tessons impudiques datant du règne de Nabopollassar, vers le début du VIe siècle avant l’ère nouvelle.
C’est un livre monomaniaque, qui à cause de son ressassement aurait été assez vite fastidieux à lire, même pour un lecteur passablement obsédé, si l’auteur ne s’était pas escrimé à échafauder le tout en un gigantesque exercice de style, qui consistait à varier les formes de ses inscriptions en appliquant tous les procédés prosodiques et poétiques qu’il avait répertoriés dans la littérature latine qu’il connaissait jusque dans ses recoins les plus reculés, toutes les métriques et toutes les formes de strophes trouvaient leur emploi.
Le zigouton sur tous les rythmes et dans tous ses états.
Ce que beaucoup d’hommes de stylet et de calame auraient bien aimé faire sans jamais l’oser, il l’a fait : thématiser la permanente & lancinante présence du mâle organe, ses manifestations, ses revendications, ses métamorphoses, ses rébellions, ses crises et ses accalmies. Et surtout : les sensations qu’il procure.
Ce qui rend son ouvrage particulièrement virulent, c’est qu’il l’écrit à une époque où il a, par amour pour moi, renoncé à toute activité jouissive et compose, à l’intention des fidèles, de nombreuses pages contre la concupiscence et fait l’apologie de la plus stricte chasteté.
A l’alinéa 913 une plainte lui échappe : mon zigouton qui pendant ma jeunesse s’en donnait à queue-joie, maintenant, privé de femellitude, se morfond dans un deuil permanent.
Cela ne se passe plus que pendant la nuit, dans le sommeil, dans les songes.
Le « De sollicitudine membri » thématise les visions nocturnes qui ont fait coupablement jouir le saint homme.
En tant qu’unique lecteur, divinement intrus, je dois dire que si les ferventes et sûrement sincères implorations de pardon d’Augustin souvent m’exaspèrent un  peu, le raffinement de ses mises en scène oniriques me divertit de la plus agréable manière.
Son inspiration, il ne puisait pas dans notre religion, mais dans le pittoresque hédonisme des païens.
Un de ses motifs préférés et récurrents, c’étaient les Trois Grâces, cette (autre !) trinité inventée par les subtils forgeurs de légendes — et voici dans toute la splendeur de leur nudité Euphrosine, Thalie et Aglaé, nudité multipliée en infinies variances, au gré des postures que prenaient ces exquises créatures, qui ne se limitaient nullement à la seule station debout, comme le suggèrent les sculpteurs et les peintres, mais s’amusaient malicieusement à des exhibitions qu’on qualifierait plus d’acrobatiques que d’artistiques, poussées par le seul souci d’émouvoir et d’exciter, sans inutile scrupule de décence puisque cela se passait en pleine nuit et sans autre témoin que le rêveur, qui demandait encore et encore à contempler les tout à fait émouvants orifices d‘en bas, rosâtres & luisants parmi la broussaille.
Parfois il convoquait aussi Ève, et de temps en temps même la Madone.
Les songes, en soi, sont innocents — il n’y a que les giclures qui sont coupables, et Augustin les répertoriait, scrupuleusement, en disant mea culpa. Pour me plaire.

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