samedi 28 novembre 2015

pourquoi as-tu écrit ça?

Rogier van der Weyden, triptyque du Jugement dernier, détail, vers 1452



chapitre XLIV

 

1.

En Italie, graffitis souvent vus, moins obscènes que métaphysiques : C’è Dio [Dieu est — ou : il y a Dieu].

 

2.

Ce printemps-là [1986], j’écrivais « Angle mort ». Les framboises sur la colline pourrissaient, nous n’y touchions pas. Ma femme était malade depuis plus d’un an. L’avenir ? C’était les framboises interdits. C’était l’angoisse de chaque instant. J’hivernais dans ma cambuse en plein été, avec mes provisions de petits pois et de sucre. — (texte retrouvé, 18 05 1995)

 

3.

Un axiome fondamental du discours théologique : Dieu EST par la nécessité de son être. Cela ne veut rien dire, mais c’est un puissant moteur de la spéculation, et cela remplit des volumes, dizaines de milliers de pages.

 

4.

Anges buccinateurs : ont pour mission d’aller réveiller les morts pour le Jugement dernier. Ils sont fréquemment représentés dans les sculptures romanes et gothiques, ainsi que dans la peinture du XVe siècle, notamment chez Van der Weyden (hospice de Beaune en Bourgogne) et Memling (Musée national de Gdansk).

 

5.

Je terminai « Angle mort » en automne 1986. Ma femme le lut et demanda : Pourquoi as-tu écrit ça ? Je n’ai rien su répondre, il n’y avait rien à expliquer. Je n’ai jamais su et ne saurai jamais ce qu’elle a compris. Livre de l’angoisse et du dénuement. A Rians, en Provence, j’écrivais dans la cuisine, face aux champs de maïs. — (texte retrouvé, 28 05 1995)

 

6.

Ma petite-fille Lisa vient passer le weekend chez moi dans ma bleue maison mosellane ; le vendredi soir je vais la prendre à son école villageoise de Harlange, à 90 km de chez moi, dans le nord du pays ; je passe par le contournement de la capitale, puis emprunte l’autoroute (panneau : Belgique) jusqu’à Arlon, ça s’appelle « autoroute du soleil », sans doute parce que c’est celle qu’on prend pour aller de Namur à Naples…, province du Luxembourg belge (slogan : une ardeur d’avance — image : un sanglier), je bifurque vers la N4 qui longe notre pays ; c’est la partie de la Wallonie qu’Alain Bertrand a célébrée dans plusieurs de ses livres ; le village de Martelange est à cheval sur la frontière, suivant le pointillé de la route, à droite le Luxembourg et d’affilée une quinzaine de stations d’essence, à gauche la Belgique et aucune station d’essence, chez nous le diesel est à 0,98 €, je repasse (l’invisible) frontière 40 km plus loin, encore 10 km d’étroite route de campagne, quelques petits villages à traverser, c’est le crépuscule, le brouillard s’est transformé en givre sur les arbres, toute la journée une maussade brume a voilé le paysage, le thermomètre à presque zéro ; à l’école, la petite vient se précipiter dans mes bras et s’empresse de me montrer son tout nouveau doudou : la nuit il sera avec elle sous la couette.

 

7.

A l’évocation de son nom, l’élan d’aller sortir spontanément un des livres d’Alain Bertrand du rayon est brusquement interrompu : le rayon n’existe plus, les dix livres d’Alain ont brûlé.

 

8.

La région de la Belgique qui s’appelle aujourd’hui « Province du Luxembourg », c’est la partie du duché de Luxembourg qui par le traité de Londres du 28 avril 1839 passe au royaume belge. La ligne de démarcation suit plus ou moins la frontière linguistique entre francophonie et germanophonie.

Le duché de Luxembourg, après amputation de sa moitié, s’appellera désormais grand-duché.

 

9.

5,2 millions de doudous en peluche ont été vendus l’année passée en France. Un des principaux fabricants se trouve à Blois. Dans sa salle d’exposition il fait voir deux doudous presque identiques : l’un coûte 52 €, l’autre 26 € ; et il explique que la différence vient de ce qu’il fait fabriquer l’un en France, l’autre en Chine. En France le coût de fabrication revient à 50 € de l’heure — en Chine, c’est 50 € de la semaine.

 

10.

Après « Angle mort », début novembre 1986, je commençai à écrire « Pieds de mouche », que je terminai en novembre 1987. Le livre fut publié en avril 1990, quatorze mois après la mort de ma femme. Elle n’avait pas lu le manuscrit. Au moment où parut « Pieds de mouche », je terminai le manuscrit de « Le silence inutile ». — (texte retrouvé, 18 05 1995)

 

 LA LIASSE DES DIX MILLE FRAGMENTS    




vendredi 27 novembre 2015

petit respir

peinture de Pierre Aleschinski


Chapitre XLIII


 1.

A quatorze ans je suis dans les scouts catholiques, notre troupe s’appelle « Immaculée » ; je ne pense pas que nous ayons jamais réfléchi au sens de ce mot exotique. Nous portions un uniforme kaki, un foulard bleu, une solide épaisse ceinture avec une boucle ronde en métal, et un superbe chapeau en feutre avec de larges bords, comme Baden-Powell sur les vieilles images.


 2.

Descartes, avant de se laisser choir dans le vertige de son doute universel, avait soigneusement, prudemment, peureusement, couardement mis entre parenthèses la religion, celle de son roi et de sa nourrice.

Ensuite, ce Dieu qu’il avait pourtant mis à l’abri, hors de la philosophie, il en établit l’existence par un raisonnement biscornu qui sentait sa bonne scholastique médiévale : J’ai l’idée de Dieu, être parfait ; or, étant moi-même imparfait je ne peux pas être la cause de cette idée, il faut donc qu’un être parfait, que j’appelle Dieu, ait mis cette idée en moi ; donc Dieu est.

Mais ce Dieu n’est qu’une bulle lexicale, un Dieu exsangue, chétif & fantomatique — rien à voir avec le pittoresque, puissant et capricieux Seigneur tribal de la Bible, ni avec l’intrépide thaumaturge galiléen que Paul de Tarse et les évangélistes, après la fin abrupte & dramatique de sa carrière, vont hausser jusqu’au statut de Dieu.

 

3.

Ce n’est pas le grand souffle, c’est le petit respir, mais ça me convient. Depuis sept ou huit ans je respire comme ça, de page en page. Cela permet sans cesse de commencer et à tout moment d’arrêter. Morcellement, compartimentage. Approfondir sans insister. Commencer, recommencer. Prendre, reprendre. — (texte retrouvé, 18 05 1995)

 

4.

Les Locke, Hume et Feuerbach, plus tard, vont eux aussi mentionner cette idée de Dieu qui est dans notre tête — mais ils ne diront plus que c’est Dieu qui l’y a mise.

Et encore un peu plus tard, Nietzsche, qui a eu lui aussi cette idée dans sa fiévreuse caboche, y réfléchit intensément. Puis un jour, il crayonne sur son feuillet, à propos de ce Dieu : il est mort.

 

5.

Quand Bernadette Soubirous demande à la dame dans la grotte comment elle s’appelle, celle-ci bizarrement ne donne pas son nom, mais dit : Je suis l’Immaculée Conception.

 

6.

Deux ans que je n’avais vu Pirotte. Puis il est là, arrive à sa soirée de lecture — avec deux heures de retard, ça ne fait rien, il est en forme. Il lit avec de grands gestes. Comme s’il était heureux, comme si cela lui faisait du bien. Ce qu’on espère, dit-il, c’est de ne plus avoir à écrire, un jour, plus tard. — (texte retrouvé, 18 05 1995)

 

7.

Il y a, ecclésiastiquement, trois formules juridiques pour exprimer l’authenticité d’une apparition de la Vierge : 1/ patet surnaturalitas [le surnaturel est établi], 2/ non patet surnaturalitas [le surnaturel n’est pas établi], 3/ patet non surnaturalitas [le surnaturel est exclu].

Quand l’apparition s’accompagne de miracles, on dit : Le doigt de Dieu est ici.

Mgr Laurence, évêque du diocèse de Tarbes, déclare en 1862, à propos des guérisons miraculeuses de Lourdes : l'apparition est divine, puisque les guérisons portent un cachet divin. Mais ce qui vient de Dieu est vérité ! Par conséquent, l'Apparition se disant l'Immaculée Conception, ce que Bernadette a vu et entendu, c'est la Très Sainte Vierge ! Ecrions-nous donc : le doigt de Dieu est ici !

 

8.

C’était il y a neuf ans, le vingt-cinq avril 1986, j’ai acheté à Virton le « Journal moche », édition originale chez Luneau Ascot, 1981, le titre m’avait plu, j’avais feuilleté, quelques phrases lues au hasard m’avaient ému. Mon cadavre aura-t-il l’air moins benêt si je suis alpagué dans l’instant où je trace le t du mot mort ? — (Texte retrouvé, 18 05 1995)

 

9.

Le dogme de l’Immaculée Conception est proclamé le 8 décembre 1854 par le pape Pie IX dans la bulle « Ineffabilis Deus ».

Après avoir réfléchi quelque temps (huit ans) à cette question, et aussi pour se familiariser avec les tournures latines de la bulle, la Vierge, en personne, décide de se rendre dans une grotte au sud de la France, en 1862, pour entrer en contact avec une adolescente de quatorze ans — et par ce truchement, à l’adresse du pape et des théologiens, elle confirme formellement le bien-fondé du tout nouveau dogme en se faisant appeler Immaculée Conception.

 

10.

Je ne savais rien de lui. Je ne savais pas encore que je lirais tous ses livres. Je ne savais pas encore qu’un jour au Mans, je le rencontrerais. J’avais acheté son livre le 25 avril, et le 26 avril je commençai à écrire « Angle mort » — le 26 avril 1986, c’était aussi le jour de Tchernobyl. Plus tard, il aima « Angle mort ». — (texte retrouvé, 18 05 1995)

 

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jeudi 26 novembre 2015

pente passablement pentue

peinture de Pierre Aleschinski




chapitre XLII

 1.

Un sondage Gallup, en janvier 1939, demanda aux Américains s’ils étaient d’accord d’accueillir dans leur pays 10 000 enfants juifs fuyant l’Allemagne nazie. Deux tiers répondirent : non.

 

2.

Ça s’allume.

 

3.

Pour ce qui est de Markson, en ce moment je lis deux de ses livres simultanément, « La maîtresse de Wittgenstein » en français, traduit par Martin Winkler, et « Vanishing Point », en anglais, c’est un tourbillon, et un engrenage, et un vertige, une mélancolique jubilation, une irritation aussi, ça vous fouette pour vous faire avancer, et vous avancez en sentant tous ces fouettements, tous ces noms propres, c’est une addiction, il vous les lance à la figure, vous pensiez que ces noms vous étaient propres, que personne n’avait plus jamais prononcé les noms de Vasari, del Sarto, de Quincey, et le voilà qui se les approprie, à commencer par Wittgenstein, qui à mon avis appartient tout aussi légitimement à Thomas Bernhard, même si chez lui il ne s’agit que du neveu, enfin, je dis tout ça pour ne pas me mettre en avant, j’assiste à ma lente descente sur la pente, qui est une pente passablement pentue, et ça finira par me conduire où je ne veux pas aller, les ascenseurs s’ensablent (l’ai-je dit ?), les cerfs-volants prennent feu (l’ai-je dit ?), j’ai un doigt à moitié gelé qui va sans doute mourir.

 

4.

Ça s’éteint.

 

5.

Nous aurions tous pu/voulu le faire, et je l’ai sporadiquement & partiellement fait : quelque chose comme « This is not a novel » de Markson, (que l’ami Claro a traduit en français, sans traduire le titre), une hantise, un amoncellement de hantises, une démence, une saturnienne démence, un livre à n’en plus finir.

 

6.

Biographèmes qui, avec tout leur poids de désastre, tiennent en un seul misérable verbe.

 

7.

J’ai différé des centaines de pages, peut-être importantes, pour des raisons dérisoires : dérobade et déguisement. Entre la note-crachat et les trois-phrases qui tiennent debout : écrire avec discipline. Chaque mot-graine contiendra une page et chaque page contiendra quelques mots-graines qui feront chacun une nouvelle page. Et ainsi de suite. — (texte retrouvé, 08 06 1977)

 

8.

Au référendum du 7 juin 2015 sur l’octroi du droit de vote pour les résidents étrangers vivant depuis plus de dix ans au Grand-duché, près de 80% des Luxembourgeois ont dit : non.

 

9.

Dans la connotation d’allumer il y a déjà éteindre. Une fois allumé ça se consume. La connotation est une signification affective et parfois compulsive qui s’ajoute aux éléments permanents du sens d’un mot. Ce qui est allumé va fatalement se consumer. C’est ce que les sémiologues (Peisse, Huelmslev, Bloomfield, Rinehard, Winston, Kapsberber, Durantoc, Høgstetter, Vaillantat, Klockwaiser et tant d’autres) vous expliquent en zyeutant un peu du côté des poètes : puisque l’amour c’est quelque chose qui brûle, l’amour, chaque amour, va, et ne peut aller, que vers ses cendres. C’est la loi irrémédiable de l’entropie. Et le langage s’en donne à cœur joie d’entériner cela, en vers ou en prose.

 

10.

J’aurai, dans ma vie de lecteur, mis soixante ans à découvrir Markson. A propos de « Wittgenstein’s Mistress”, D. F. Wallace disait: A work of a genius. An erudite, breathtakingly cerebral novel whose prose is crystal and whose voice rivets and whose conclusion defies you not to cry.

 

 LA LIASSE DES DIX MILLE FRAGMENTS    





mardi 24 novembre 2015

prière du soir

peinture de Pierre Aleschinski


chapitre XLI

 

1.

Au petit matin d’une maussade journée de novembre, une lumineuse page dans les « Épîtres » d’Horace, aucun maître ne me dicte où aller, je vais où le temps me porte, hôte passager…

Combien, aux « Épîtres » de saint Paul, je préfère celles d’Horace ; le Romain n’est à aucun moment excité, exalté, excessif, et s’il y a des exhortations dans ses écrits, elles concernent l’art de vivre et non pas la terreur d’être damné pour l’éternité.

Horace écrit dans la deuxième moitié du dernier siècle avant le déferlement de la neurasthénie chrétienne et de ses morbides vertiges métaphysiques.

 

2.

La licorne, dite aussi unicorne, oublie toute sa férocité et sa nature sauvage à cause de son intempérance qu’elle ne sait dominer : son goût pour les demoiselles est si vif, que, mettant de côté tout soupçon, elle s’approche de telle jeune fille assise, et s’endort dans son giron ; et les chasseurs alors peuvent s’en emparer. — sur un feuillet de Léonard de Vinci

 

3.

Le 14 avril 2000, au Tribunal international de La Haye, le témoin O., raconte comment, en juillet 1995, à 17 ans, au bord d’un champ près de Srebrenica, les soldats serbes lui demandent de se déshabiller, ses habits lui collent à la peau à cause de l’urine desséchée, le champ est jonché de cadavres, il est debout, avec d’autres hommes, quelques soldats ont pris position derrière eux, on leur donne l’ordre de se coucher, et aussitôt la fusillade commence. Un peu plus tard, quand silence s’est fait, le garçon lève la tête et aperçoit parmi les nouveaux cadavres un autre survivant, il rampe vers lui et tend ses mains ligotées, et l’autre, avec ses dents défait la corde. L’homme porte un t-shirt et une chemise qu’il enlève pour la déchirer en bandelettes : il panse la blessure de O. qui peu après s’endort sur les genoux de l’homme, car il n’avait plus dormi de puis très très longtemps. Ils restent ainsi jusqu’au matin. Puis l’homme le réveille et lui demande : où allons-nous ? Et le garçon répond : Je ne sais pas.

 

4.

Mon amante, en allemand se dit meine Geliebte, ce qui signifie, et rien de plus que : mon aimée.

L’amant (latin : amans, celui qui aime) ne devrait jamais dire mon amante — qu’est-ce qui l’autorise à dire d’une femme qu’elle l’aime ?

 

 

5.

A lire ce que Léonard écrit sur les animaux, on est surpris de constater que le plus souvent il se contente de répéter ce que l’on pouvait lire dans les encyclopédies et compilations médiévales où le monde animal est conçu de manière mythique et symbolique. Ce n’est pas dans ce domaine-là que Léonardo se montre pionnier, aucune empirie, aucune recherche — au point que la médiévale Hildegarde de Bingen, pour ce qui est des animaux, semble souvent bien plus pertinente que le génial savant de la Renaissance.

 

6.

A Karachi, le 1er février 2002, Khalid Sheikh Mohammed, tranche la gorge du journaliste Daniel Pearl, ensuite le décapite, plusieurs hommes sont présents à la scène qu’ils documentent en vidéo, ils coupent le cadavre en dix morceaux, creusent un trou dans le sol de l’endroit et enfouissent la dépouille dépecée. Ensuite ils lavent le plancher plein de sang pour pouvoir étendre leurs tapis. Et ils font la prière du soir.

 

7.

Une semaine après les attentats, une jeune femme, à la tombée du jour, devant le Bataclan tient devant elle une pancarte sur laquelle elle a marqué : « Je suis musulmane — Daech ne l’est pas ». On la voit discuter avec d’autres jeunes femmes, et à la fin, larmes aux yeux, elle leur demande : un câlin.

 

8.

Mourir : ire ad plures, disaient les Latins, aller là où sont la plupart.

 

9.

Comme savant et philosophe, Léonard de Vinci n’a jamais rien publié, mais laisse des milliers de feuillets, en partie épars, en partie réunis en liasses et fascicules, papiers éparpillées en Italie, en France, en Angleterre, en Espagne, et même aux États-Unis. Des tentatives ont été faites de d’ordonner le fatras de ces notes en les regroupant thématiquement. Ainsi, en rassemblant les fragments sur les animaux, on peut établir un bestiaire de Léonard.

 

10.

Qu’est-ce qui pouvait faire croire à l’amant que la femme qu’il aimait l’aimait ?

Quand elle te dit je t’aime, cela ne compte que pour la fraction de seconde où elle le dit. Pas au-delà. Jamais au-delà.

 

 


LA LIASSE DES DIX MILLE FRAGMENTS





étincelle d'or

peinture de Pierre Aleschinski



dans le maussade matin de novembre
grisaille, silence & solitude

puis sous la lumière de l’abat-jour
quelques vers dans une épître d’Horace

aucun maître ne me dicte où aller
je vais où le temps me porte, hôte passager

dans la poisse & la mélasse
étincelle d’or et de joie


il n’y a pas rien quand il y a les mots


NOUVEAUX NEUVAINS    



jeudi 19 novembre 2015

misérable chimie

peinture de Pierre Aleschinski


chapitre XL

 1.

Disais-je. A plusieurs reprises. Laisse-moi te regarder pisser. Mais elle ne voulait pas.

 

2.

Rosée scintille, et gelée blanche crépite, une oreille hypersensible entendrait les cristaux crépiter, rosée de si nombreux matins, gelée blanche de tant de froides saisons, dedans les strates de la terre tant de squelettes, os blancs enrobés de boue, und die Lachtauben gurren, maladie vieillesse chagrin débandade, le sourire est parti où il n’y a plus qu’un crâne, au fond d’une boîte en laiton, un ruban, une mèche de cheveux, quelques cartes postales, quelques lettres, des noms, des prénoms, la gelée blanche étreint les dahlias, mortellement, und die Lachtauben gurren, la bouche était si belle qui souriait, os blancs enrobés de boue, on est vivant, tellement vivant et on écoute la gelée blanche crépiter, et pendant que rien ne se passe, on colle un timbre sur une carte postale de novembre.

 

3.

Le petit chemin sur la colline traverse un bosquet formant une tonnelle qui donne de l’ombre, c’est l’été, nous nous arrêtons pour nous embrasser, puis soudain elle s’agenouille devant moi & me prend dans la bouche.

 

4.

Images et bribes de récit stockés au fil des décennies dans des milliards d’alvéoles de la cervelle, prodigieuse prouesse de la combinatoire chimique, alerté soudain par un mot, par un nom, par un contour, par un son, par une couleur, par une saveur, telle ou telle alvéole se met à vibrer, la capsule éclate et lâche son contenu à vif, ce qui avait été si longtemps enfoui surgit, et voici David dans la fournaise, David dans la fosse aux lions, et une main de spectre écrit en lettres de feu sur la paroi du palais royal, mene tekel upharsin (Daniel, V, 30), et la nuit, in selbiger Nacht (H. Heine), le roi meurt assassiné, Rembrandt inscrit les mots sur son « Belsazer » en 1635, formes, mots & couleurs dans l’alvéole, comme si cela m’appartenait, mais je ne fais que passer, furtivement, je ne suis, avec toute ma misérable chimie, qu’un clignotement sans conséquence.

 

5.

Photo de Lee Miller où l’on voit Max Ernst poser ses deux mains sur les seins nus de Leonora Carrington.

 

6.

Disais-je. Je ne désire que toi. Plus tard elle n’aima plus que je dise ça.

 

7.

Jentgen, je ne me souviens plus de son prénom, c’était le préféré de notre prof de dessin, Harold Thomé, classe de VIe, nous avions treize ans, dessinions sur une grande feuille une scène avec des indiens, Jentgen s’appliquait et  dessinait de façon minutieuse, avec de pittoresques détails, sa feuille parsemée de bonshommes, tous pareils, avec leurs arcs et leurs flèches, et ci & là un cactus géant, nous trouvions cela enfantin et ridicule, (plus tard j’apprendrai qu’on appelle ça l’art naïf), le prof était ravi et Jentgen obtenait la meilleure note. Et pareil pour les autres sujets, cette année-là, pour le château-fort, pour les feuilles d’automne, pour les Vikings,  pour les masques de Carnaval, Jentgen obtenait toujours, et de loin, la meilleure note.

8.

Je me souviens des odeurs de la gouache. L’odeur du jaune. L’odeur du bleu.

 

9.

Je ne saurais dire ce qui a fait éclater aujourd’hui l’alvéole Jentgen, autant le nom que le visage. Sinon, aucune nouvelle de lui, peut-être qu’il est mort depuis trente ou quarante ans.

 

10.

Zizanie dans les pronoms. Quand je disais elle, elle pensait que les gens pensaient que c’était elle. Alors qu’il y a au monde pas loin de quatre milliards de femmes.

 


LA LIASSE DES DIX MILLE FRAGMENTS

mardi 17 novembre 2015

carpettes & chiffonniers...

peinture de Pierre Aleschinski

chapitre XXXIX

 

1.

C’est la mi-novembre et il nous reste des soucis. — (texte retrouvé, 10 11 1984)


2.

Le séjour de Ménilmontant / c’était cinq cent trente quatrains / tout un roman, n’en reste rien / sauf deux qui font bon résumé // pas question que j’aille dedans / je vais et viens au creux de l’aine / et gicle sur sa blanche peau / elle ne sent rien – moi non plus // la malamante est partie / sur la paroi de la baignoire / je recueille deux jolis poils / de son incolore toison  — (texte retrouvé dans un livre épuisé, « Le Papillon de Solutré », décembre 1994)


3.

« Pocas veces en la vida nos dedicamos a observar por algún instante nuestra mirada, esa mirada que mientras se mire a sí misma, logra escapar de lo vano y efímero, estériles apariencias y letales prejuicios que deshonran nuestro infinito potencial de crear y volar, de soñar y luchar, de amar lo que somos porque somos TODO lo que necesitamos para vivir en la más absoluta e inquebrantable Felicidad. » — (texte trouvé, commentaire d’un inconnu sur une séquence d’un film de Luc Besson, avec Jamel Debbouze)


 4.

Cinq mots ajoutés aujourd’hui à mon vocabulaire anglais : doormat, hangman, to pawn, womanizer, ragpicker.


5.

A la base des notations biographiques, il y a indéniablement du narcissicisme, mais d’avantage encore une curiosité vive et quasi entomologique : ça fonctionne comment, la bestiole humaine ?


6.

L’un fabrique une chaise, l’autre dirige un opéra, le troisième fesse sa marmaille, moi, je devrai écrire. (texte retrouvé, 09 02 1960, journal, vol. 16, p. 159)


7.

C’est la mi-novembre, et sur ma terrasse l’agapanthe bleue, sur deux tiges, intrépide, fleurit. Dans un mois j’irai voir ses cousines à 12 000 km d’ici, can’t wait for it.


8.

Le Luxembourg, en 1965, gagne le Grand Prix Eurovision de la Chanson, avec France Gall qui chante « Poupée de cire, poupée de son », elle a dix-sept ans.


9.

Qu’il faut prendre encore & à nouveau un petit élan pour proser (Prosakittel ! disait Walser), après tout un temps de friche & de déprime, et le gros & lourd Petit Larousse a disparu où j’allais souvent hameçonner l’un ou l’autre vocable, par pure gourmandise des mots, bizarres noms de poissons et rêver à des plongées atlantiques, au gré du Gulf Stream, là où est passé le labour des corvettes vénitiennes & génoises, réminiscences qui s’incrustent dans une des nombreuses circonvolutions de mon cortex passablement abîmé, dans le vignoble des dizaines de milliers de tuteurs impeccablement alignés, et la concomitante jaune joncherie, mélancolique apaisement de l’automne, l’année s’épuise, et moi aussi.


10.

Stéphane Nick Jean-Jacques Thomas Guillaume Haalima Hadda Chloé Emmanuel Maxime Quentin Ludovic Elodie Ciprian Claire Nicolas Baptiste Nicolas Manuel Anne Précilia Aurélie Elsa Alban Vincent Asta Romain Julie Elif Fabrice Romain Thomas Mathias Germain Grégory Christophe Julien Suzon Mayeul Véronique Michelli Matthieu Cédric Nohemi Juan-Alberto Pierre-Yves Thierry Olivier Pierre-Antoine Raphaël Mathieu Djamila Mohamed Pierre Nathalie Marion Milko Hyacinthe Marie Guillaume Renaud Gilles Christophe Antoine Cédric Charlotte Emilie Fanny Yannick Cécile Lamia Marie Justine Quentin Christophe Hélène Victor Bertrand David Manu Anne Marion Lâcramioara Caroline Sébastien François-Xavier Richard Valentin Estelle Thibault Madeleine Kheiseddine Lola Patricia Hugo Maud Valeria Fabian Ariane Eric Olivier Stella Luis-Felipe

 

LA LIASSE DES DIX MILLE FRAGMENTS



dimanche 15 novembre 2015

Fragments du journal intime de Dieu - fragment 11 289





FRAGMENTS DU JOURNAL INTIME DE DIEU


Fragment 11 289 — Au Paradis qui existe maintenant depuis deux mille ans, les bienheureux Pensionnaires passent leur temps, euh, je veux dire, leur éternité dans une tranquillité, une sérénité, parfois, je dois dire, un peu à la limite d’une sorte de béate torpeur, — bref, ils se reposent à fond et pour de bon.
A une exception près : la Sainte Vierge.
Depuis quelques décennies, elle n’arrête de s’agiter. On entend parfois chuchoter dans les célestes couloirs, d’un ton gentiment narquois : « elle a encore fait une de ses descentes… »  En général, pour ce genre d’escapades, elle met sa robe bleue.
Les mortels, en bas sur Terre, appellent ça des apparitions ; depuis le XIXe siècle ils en ont répertorié 2400 ; un de leurs scribes, l’abbé René Laurentin, dans un gros livre, sur mille quatre cent vingt-six pages en a fait le catalogue scrupuleux, avec tous les détails toponymiques, chronologiques, circonstanciels.
Le plus souvent, elle va voir des enfants, de préférence illettrés — et ces enfants ensuite racontent aux adultes ce que la Vierge leur a dit.
Les adultes sont impressionnés, construisent des basiliques et organisent des pèlerinages lors desquels ils font chanter des cantiques et mettent en place des étals avec des bougies, des chapelets, des bouteilles d’eau bénite et des statuettes de la Vierge en robe bleue.

Avec Paul, Pierre et Jésus, entre nous en petit cercle, on ne parle jamais de ces choses-là, ça ne les intéresse pas.



samedi 14 novembre 2015

tuer ou ne pas tuer en islam




Tuer ou ne pas tuer en islam


-- par Lambert Schlechter --


 « ne tuez pas la personne humaine, car Allah l’a déclarée sacrée »,
Coran, sourate VI, verset 151 (traducteur non identifié) verset que quelqu’un a posté ce matin sur facebook

Cela m’a interpellé, et j’ai voulu mieux comprendre. Et j’ai fait ma recherche, pour examiner puis juxtaposer les traductions de ce verset, qui date de l’époque mecquoise pendant laquelle les dictées divines du Coran sont plus paisibles & pacifiques que celles de l’époque de Médine, qui sont guerrières et souvent rudes et agressives.

J’ouvre d’abord ma version du Coran, dans la traduction de D. Masson (Gallimard, 1967) le verset se lit comme ceci :

ne tuez personne injustement ; Dieu vous l’a interdit
cette traduction comporte une restriction (« injustement ») complètement escamotée dans la version de départ.

J’ai voulu en savoir plus ; je suis allé consulter plusieurs des nombreux sites musulmans sur le net et j’ai juxtaposé les traductions proposées (toutes sans le nom d’un traducteur) : elles confirment toutes ce sens restrictif de l’interdiction de tuer.

ne tuez qu'en toute justice la vie qu'Allah a fait sacrée
http://islamfrance.free.fr/doc/coran/sourate/6.html
àhttp://www.islam-fr.com/coran/francais/sourate-6-al-an-am-les-bestiaux.html

[interdit] d'attenter, sauf pour une juste cause, à la vie d'autrui que Dieu a déclarée sacrée 

vous ne tuerez point – DIEU a fait la vie sacrée excepté dans le cours de la justice

ne tuez personne, car Dieu a rendu sacrée la personne, sauf dans l’exercice d’un droit légitime

La belle et si vigoureuse citation de départ, il convient donc de la reconnaître & démasquer comme abusivement apologéti-que - intentionnellement tronquée, bref mensongère.

Cela donne à réfléchir.

Les tueurs de Paris, ont-ils désobéi aux injonctions d’Allah dans le Coran ? Ou seront-ils reconnus par Allah comme d’authentiques djihadistes et martyrs?

Dans plus d’un verset du Coran il est dit explicitement que les infidèles, il faut les tuer, et que telle est la volonté d’Allah.

Cette doctrine a été lapidairement confirmée par le Savant musulman Sheik Issam Amira, dans une conférence à la prestigieuse Mosquée Al-Aqsa du Caire, le 1er mai 2015 les infidèles, il faut les éliminer. Il dit : cela n’a pas de sens de laisser jouir les infidèles de la vie dans ce monde et manger les provisions accordées par Allah, alors qu’ils ne croient pas en lui. Non !
à sur le site memri TV / 
relayé par http://iamnotashamedofthegospelofchrist.com/2015/05/12/
al-aqsa-mosque-address-we-should-fight-polytheists-who-refuse-to-convert-to-islam-or-pay-jizya/

La vie humaine, déclarée sacrée : cela ne vaut donc pas pour les non-musulmans.



Et Allah, dans son infinie miséricorde, va sans aucun doute accueillir comme martyrs les djihadistes qui viennent d’assassiner plus de cent personnes et d’en mutiler quelques centaines d’autres.