vendredi 12 février 2016

FRAGMENTS DU JOURNAL INTIME DE DIEU - fragment 8507




Fragment 8507 — En tant que dramaturge, je reste assez fier de ce chapitre inaugural avec Adam & Ève — l’épisode paradisiaque est et reste un modèle de ce qu’on peut faire de meilleur dans le domaine romanesque. Et moi, dès le départ j’ai posé mes jalons de chef.
Leur histoire a finalement abouti, comme on sait, à leur vie sur terre, où de copulation en copulation leur descendance était devenue de plus en plus nombreuse. Il fallait bien un jour penser à institutionnaliser mon statut.
Avec Abraham, sur une solide base affective, puis avec Moïse dans une optique à la fois juridique et géostratégique, nous avons ancré les fondements de mon règne conçu comme unique & exclusif.
Plus tard les lettrés et les glossateurs utiliseront la vigueur et la clarté de la langue grecque pour appeler cela monothéisme. J’étais bien satisfait lorsque ce lexème fit son apparition : il optimise singulièrement le discours sur ce qui me définit.
Les choses se compliquèrent, hélas, quand quelques siècles plus tard, le zélateur Paul de Tarse, étant un jour tombé de son cheval, cela le traumatisa très fort et il conçut soudain l’idée de diviniser un thaumaturge galiléen dont il avait entendu parler, et dont désormais, dit-il, il entendait la voix.
Et cela nous valut un nouveau, un autre monothéisme. J’étais embêté, cela chamboulait la belle structure élémentaire que mon peuple, grâce notamment à des Jérémie, des Isaïe, des Ezéchiel, avait si pertinemment élaborée, avec lyrisme, certes, mais aussi une belle & transparente conviction quant à mon unicité.
La nouvelle secte injecta des concepts passablement opaques & indigestes du genre incarnation, rédemption, transsubstantiation, immaculée conception, résurrection, et j’en passe, Et surtout le mono du monothéisme fut dangereusement ébranlé par la théorie tout à fait biscornue des Trois Personnes, plagiée d’ailleurs sur la mythologie grecque — et ils affublèrent cela du terme de Trinité ; à cette question d’arithmétique théologique ils consacrèrent force traités, conciles & conciliabules, avec des subtilités langagières toujours plus inextricables.
Je n’avais pas encore eu le temps de vraiment digérer toutes ces complications, lorsqu’un beau jour quelque part dans l’incandescence du désert un nomade illettré et dépressif se mit à vaticiner et à élaborer à son tour une religion du Dieu unique.
Si la secte nazaréno-paulinienne m’avait énervé, la secte médino-mecquoise m’a exaspéré : déjà le monothéisme n’était pas si facile à gérer, avec ses ardeurs, ses terreurs et sa combativité — mais là il fut imprégné d’une ferveur nouvelle qui s’exprimait dans la vocifération, les discours d’exclusion et les menaces de mort, et que je te maudisse, et que je te flagelle, et que je t’ampute les mains, et que je te décapite…
Mais voilà, je prends sur moi, jour après jour, je prends sur moi d’être, aussi, ce Dieu-là — le Chef de la plus inutile des religions.




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